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2050, où (en) sera la vigne ?

2050, où (en) sera la vigne ?

Le 18/09/2024

Y aura-t-il encore du vin et de la vigne en France en 2050 ? Probable. Dans les mêmes zones et avec les mêmes pratiques qu'aujourd'hui ? Pas sûr. En tout cas, pas sans adaptation et innovation, changement du climat et des goûts oblige. - Pascale Solana.
En Bretagne près de Saint-Malo, terroir en devenir avec ces jeunes vignes prometteuses au-dessus de la Rance. ©Solana

Y aura-t-il encore du vin et de la vigne en France en 2050 ? Probable. Dans les mêmes zones et avec les mêmes pratiques qu'aujourd'hui ? Pas sûr. En tout cas, pas sans adaptation et innovation, changement du climat et des goûts oblige.

Pascale Solana.

"Autrefois, nous avions un accident climatique tous les dix ans, disait mon père. Mais ces vingt dernières années, ça s’accélère. On en vit un tous les trois ans", s’exclame Clémence Fabre, vigneronne dans le Languedoc. Sa région souffre particulièrement de la sécheresse. "On attend environ 650 ml de pluie par an. En 2023, on en a reçu 250 ml." Alors, imaginez, chez les Fabre où l’on élève le Chant de la terre, on est prêt à danser lorsqu’on sent poindre la pluie !

Depuis le début du XXe siècle, la concentration atmosphérique en CO2 a augmenté de 40 %. Près de la moitié de cette hausse s’est faite sur les trente dernières années. Depuis l'entrée dans l'ère industrielle, vers 1850, la température moyenne de la terre a augmenté de 1,8°C. Le sol chauffe également. Et chaque augmentation accroît la fréquence et l’intensité des évènements extrêmes tels que les tempêtes et les vagues de chaleur, les pluies torrentielles, les incendies. Les effets du changement climatique se font déjà sentir, et les agriculteurs, dont les vignerons, sont aux premières loges.

Plus d'extrêmes

"Depuis 2016, je note une évolution. Les vignerons nous rapportent que le changement climatique génère plus d’extrêmes, raconte Pierre Trieau, le "Monsieur vin" de Biocoop. Les épisodes de gel sont de plus en plus fréquents par exemple." Le cycle de la vigne ne change pas mais il est plus précoce, la rendant plus vulnérable. "Le gel frappe les vignes en période de débourrage*, en floraison ou en grappes naissantes, comme cette année encore dans les vignobles du Lot, du Jura, et même du Var." Clémence Fabre confirme : "En 2021, le gel nous a fait perdre 70 % de raisins, et en 2023, on a vu nos rendements, déjà moindres comparés à ceux en conventionnel, baisser de 28 % à cause de la sécheresse." Dans le Gard et l’Hérault, le pic de chaleur du 28 juin 2019 a marqué. Il a culminé à 46,2 °C, brûlant les vignes et occasionnant des pertes de rendement de l’ordre de 33 %. 

D’une année à l’autre, c’est différent et imprévisible. "Dans le Languedoc, le mildiou, champignon microscopique, apparaît là où l’on n’a pas l’habitude de le voir. Il faut alors s’adapter, apprendre, avoir la main-d’œuvre au bon moment", poursuit Pierre Trieau. Car les empêcheurs de bien pousser sont aussi de la danse. "Avec les hivers plus doux, les escargots prolifèrent et dévorent les bourgeons, constate Aubin Leconte, vigneron en Anjou (lire p. 16). Les antilimaces ne sont pas assez sélectifs vis-à-vis des autres gastéropodes. Je ne veux pas les utiliser." Alors ? Alors c’est à la main qu’il les retire !

Grappes naissantes, fragiles face aux aléas climatiques.

Expérimentations

À des degrés divers et sous différentes formes, tous les vignobles sont concernés par les effets du changement climatique. Autant de terroirs et de vignerons, autant de situations et de solutions à inventer, à l’image de la diversité des vins en France finalement.

Ici, on joue sur les cépages, sur la taille, ailleurs sur les zones de plantation, le sol, les outils, l’eau, la vendange ou la vinification. À la station expérimentale d’Étoile-sur-Rhône, dans la Drôme, des techniques alternatives et biologiques sont développées pour adapter la vigne au climat (projet Vigne Climat’ic). Sur le sol caillouteux et sec, les rangs se succèdent. Des rangs de cépages résistants avec des raisins de cuve, rouges, puis d’autres taillés sur pergolas donnant des raisins de table, blancs, parmi lesquels s’intercalent avec des lignes de pêchers. Le but des alliances végétales étant de vérifier le degré d’entente. Le fruitier plus haut que la liane (la vigne) apporte son ombre même s’il la concurrence en alimentation et en lumière. L’agroforesterie était jusqu’alors plutôt une pratique de zone tropicale…

 

Un peu plus loin encore, une rangée de vigne irriguée est comparée à une autre dont les efforts pour extraire elle-même l’eau du sol sont mesurés par une sonde. Ici et là, des filets protecteurs divers. Partout en France des chercheurs et techniciens observent, collectent des données, souvent de concert avec les vignerons. La démarche bio suppose de développer un sens de l’observation aigu, selon Clémence Fabre. "Et une présence sur le terrain, moins généralisée en conventionnel", ajoute Pierre Trieau, car l’usage des produits chimiques offre plus de liberté et permet de rattraper. Mais en bio, en biodynamie ou en conventionnel, qui s’en sort le mieux ? L’objectif de la bio vise à réduire l’impact des intrants nocifs pour la santé et l’environnement, à favoriser la biodiversité, la santé des sols… Les données scientifiques pour évaluer son potentiel dans un contexte de changement climatique sont encore rares.

©Alsace

Les vins vont changer

L’avancée de la maturité des raisins entraîne des vendanges de plus en plus précoces effectuées en période estivale chaude, le tout jouant sur la qualité et la typicité des vins que l’on commence à voir évoluer. Augmentation des teneurs en sucre des raisins, donc de l’alcool, baisse de l’acidité, modifications aromatiques vont remettre en question le goût du consommateur, qui justement change aussi. Lui recherche… des vins moins alcoolisés, quand ce n’est pas d’autres boissons qui ont sa faveur. "On voit les degrés des rouges monter à 14, 15°. Nous sélectionnons plutôt des vins digestes, frais, fruités, à 12 ou 13°. Et de préférence chez les vignerons les mieux-disants en termes de qualité ou d’écologie", reprend le spécialiste de Biocoop.

Arbres fruitiers dans les vignes du Champenois Vincent Couche.

Vincent Couche

"Des vignes fainéantes."

Comme ses vins, Vincent Couche – 48 ans, 29 vendanges,15 hectares en Champagne, 25 en Bourgogne – a du caractère. Il tempête contre « les engrais chimiques qui ont rendu les vignes fainéantes et vulnérables ». Abreuvées en surface, elles n’envoient plus leurs racines en profondeur dans le sol chercher les nutriments et le terroir. « Comme si vous disposiez en permanence d’une nourriture peu qualitative sur votre bureau près de votre écran, » explique-t-il. Sainement nourri et bien hydraté, on supporte mieux la sécheresse. Ce à quoi visent ses pratiques : bon sens et biodynamie. Exemple : pour protéger des coups de chaleur (l’échaudage), il évite le traditionnel rognage qui consiste à couper régulièrement les sarments pour faciliter les passages d’engins ou les vendanges, mais qui de ce fait dénude les grappes. Ses rangs sont conduits comme des ruelles de villes méditerranéennes, « étroites et ombragées par les bâtiments hauts ». Il taille de sorte à éloigner le végétal du sol, diffuseur de chaleur. Il a planté des rangs de fruitiers, plus de 300 arbres, pour l’ombre et la biodiversité, et fait paître son troupeau de brebis de la fin des vendanges aux premiers bourgeons, aux côtés parfois de poules rustiques. Il ne dit pas non aux cépages résistants tel le nouveau voltis, réfléchit sans cesse, se prépare et semble en définitive mieux s’acclimater au changement qu’au système agricole dominant.

©Vendanges 2009 Vincent 064 (36)

Et en 2050 ?

Alors ? Y aura-t-il encore de la vigne en 2050 ? Oui, selon les experts. Mais pas forcément partout en France ni dans le monde. Selon une étude**, "environ 90 % des régions viticoles côtières et de basse altitude du sud de l’Europe et de la Californie risquent de perdre leur aptitude à produire du vin de qualité à des rendements économiquement soutenables d’ici la fin du siècle si le réchauffement global dépasse + 2 °C. En revanche, d’autres régions pourraient ressortir gagnantes avec une amélioration de leur potentiel viticole, comme le nord de la France ou le Canada". Avec la hausse des températures, de nouvelles régions de production pourraient également se développer. Jusqu’au Danemark ! 

En France, la viticulture commence à chercher hauteurs et altitude. Une association demande déjà la reconnaissance des vins bretons (vigneronsbretons.bzh). 

La question est plutôt de savoir à quel point et à quelle vitesse parviendra-t-on à s’adapter. Toutes les régions ne seront pas logées à la même enseigne. Si certains vignobles vont souffrir, d’autres pourraient y gagner. L’évolution climatique vient opportunément contrebalancer l’acidité habituelle de certains vins. "Un climat plus chaud apportera peut-être à des régions comme la Champagne ou la Bourgogne de meilleures maturités de façon plus régulière", analyse Vincent Couche, vigneron champenois pour qui le changement climatique est l’occasion d’évoluer. "Le monde n’est qu’évolution !", dit-il. Pierre Trieau évoque, lui, les exceptionnels millésimes 2018 et 2020 des vins de Loire ou 2022 et 2023 des Bourgogne. "Il y a de l’espoir, mais pour celui qui compte continuer à faire comme il y a vingt ans, c’est fini !", s’exclame Vincent Couche. Sans doute pas que dans les vignes !

Clémence Fabre

"Sans eau, pas de vie."

Dans les Corbières, la famille Fabre – enfants, parents et oncles réunis – rassemble au total 300 hectares, un tiers de champs et de grandes cultures, le reste en vigne, bio depuis 1991. Au fil des siècles et des mariages, des domaines et des vins sont nés, dont les cuvées Chant de la terre. Agir face au changement climatique est une préoccupation. « On teste des cépages résistants, tels floréal, sauvignac ou venus d’Espagne et du Portugal », raconte Clémence Fabre, qui pousse le bouchon jusqu’à consigner ses bouteilles de vin vendues chez Biocoop. Peu travaillés, les sols sont ensemencés, de moutarde, de légumineuses pourvoyeuses d’azote ou de variétés pour les animaux : chaque année après les vendanges et jusqu’au printemps, les 200 moutons rouges du Roussillon d’un berger partenaire descendent de Cucugnan. Dans cette région, l’irrigation (quand il y a de l’eau !) est autorisée depuis longtemps. Au goutte-à-goutte chez les Fabre. « Sans eau, on ne pourra pas continuer à maintenir nos paysages. À vivre… » D’où la vitiforesterie : grenadiers, pommiers à cidre, aubépines, amandiers sauvages, etc. voisinent avec la vigne, « pour l’ombre et les alliances souterraines ». C’est désormais à la fraîcheur de la nuit pour éviter l’oxydation que le Chant de la terre, vin d’assemblage, est vendangé avant que son jus ne soit refroidi. Les fermentations doivent être encore plus surveillées qu’avant.

©DR
Expérimentations (vignes, fruitiers, filets antigrêle…) à la station de recherches d’Étoile-sur-Rhône dans la Drôme. ©Solana
©Château de Passavant

Aubin Leconte

"Le climat est un défi !"

"Sur les coteaux du Layon, en Anjou, les anciens plantaient pour une exposition solaire maximale. Ils effeuillaient autour des grappes pour le rendement ou la maturité, explique Aubin Leconte du château de Passavant, en biodynamie, comme ses parents. Désormais, on fait l’inverse." Sur ses 55 hectares de terre, il observe un roulement : certaines parcelles de vigne sont mises au repos 2, 5, 7 ans pour permettre au sol de se régénérer avec des céréales, des légumineuses, avant d’être replantées, autrement. Il crée des ombrières de haies diversifiées, refuges d’auxiliaires, pour avoir des parcelles plus petites et parquer les 120 moutons qui nourrissent les vignes, et réciproquement. Face au changement climatique, le jeune vigneron se dit prêt à changer de porte-greffes, mais pas de cépages, " la facilité". "Notre savoir-faire est lié à un cépage et son terroir. Je ne me vois pas remplacer du chenin par du viognier !" Il travaille d’abord la résistance de ses vignes, la gestion de l’enherbement et des couverts végétaux pour "un sol vivant capable de réguler la température". C’est plus de travail que l’usage du glyphosate ! "Pas une année ne ressemble à une autre, nous n’avons pas d’autres choix que de penser et d’adapter les pratiques. Le changement climatique est un grand défi !"

*Les bourgeons entourés de leurs écailles (la bourre) commencent à pointer.

**Inrae, Bordeaux Sciences Agro, CNRS, universités de Bordeaux et de Bourgogne. www.inrae.fr/actualites/cartographie-mondiale-levolution-regions-viticoles-face-au-changement-climatique

 

À lire : 

Vigne, vin et changement climatique, Nathalie Ollat et Jean-Marc Touzard, Éd. Quae. Une synthèse de tous les travaux menés entre 2011 et 2021 (projet Laccave-Inrae) en France.

 

L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

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